– No Sleep House –
Quand d’aucuns se sont longtemps couchés de bonne heure, j’ai toujours eu un problème avec le sommeil. Aussi loin que je me souvienne — à part pour certaines activités connexes et encore très moyennement, soyons honnête, ça serait triste sinon — j’ai toujours eu une relation houleuse avec mon lit. Lire, rêver, dormir, j’ai toujours préféré faire ça debout. Debout et les yeux ouverts. C’est con à dire, mais je ne voyais pas l’intérêt de ce truc. S’allonger, fermer les yeux, relâcher ses muscles, ralentir sa respiration et partir. Je ne voyais pas l’intérêt et je crois j’avais peur. Partir O.K., mais partir où ? Et puis — je le comprends aujourd’hui, je le comprends maintenant que j’ai besoin de chausser chaque nuit un masque façon Dark Vador pour ne pas arrêter de respirer dans mon sommeil — partir O.K., mais qui nous dit que l’on va revenir, qui nous dit que notre lit n’est pas en vérité notre cercueil ?
Bref, j’ai toujours eu des pensées charmantes au moment du coucher. Et puis inventives aussi, parce qu’il a bien fallu composer, parce que le car pour le lycée passait à 7h10 y compris les jours de neige ou quand il faisait -15 °C et que je devais bien y être. Je devais être au bus, je devais être en classe, je devais être avenant, souriant, même quand pourtant les journées m’ennuyaient à mourir justement, que mes parents ne cessaient de s’engueuler ou que ma première copine m’annonçait qu’elle était enceinte alors que nous n’avions encore jamais couché ensemble. Je devais tenir et j’ai tenu. Grâce à un truc un peu con, un machin que mes gosses aujourd’hui prendraient pour une chaîne hi-fi quand nous, à l’époque, nous appelions cela un baladeur. 10 cm de côté, 1 kg d’acier brossé et ces mémorables oreillettes orange, que même Chirac ou Juppé ou je ne sais plus qui ont coiffé un jour en couverture de Paris Match.
Avant le respirateur contre l’apnée, c’était donc déjà une machine qui me permettait de trouver un sommeil enfin réparateur. Une machine, et les cassettes que j’y glissais. J’avais besoin d’un mur de guitares bien solide, bien dense pour m’endormir. Et si en plus les morceaux étaient assez longs, monolithiques et enveloppés d’une voix hurlante, Morphée m’emmenait rapidos. Alors c’était Morbid Angel pour récupérer le temps du voyage en bus jusqu’au bahut, Carcass à la pause de midi sur la pelouse de la cour, ou encore Entombed, Brutal Truth, Pestilence le soir après les devoirs. C’est comme ça que j’ai tenu et que je tiens encore parfois.
C’est comme ça aussi que j’ai tout de suite su que j’allais adorer Deafheaven. C’était le dimanche soir, après trois jours bien chargés en décibels et en bières, il faisait froid, j’étais claqué et n’avais pas eu le courage de suivre mes camarades jusqu’à la Warzone. Je m’étais installé sur les restes de pelouse devant le Temple et j’ai tout de suite su quand ils sont montés sur scène. Je connaissais peu leur travail, j’avais seulement écouté leur split LP avec Bosse-de-nage, un groupe canadien que m’avait fait découvrir mon pote Sol et j’avais été intrigué par leur reprise de Mogwaï. Alors ce soir-là, je m’étais dit pourquoi pas. Pourquoi pas attendre ici mes potes, pas loin de la sortie, avant de rentrer sur Nantes ?
J’ai bien fait. J’ai bien fait parce que je me suis tout de suite endormi. J’ai écouté tout le concert plongé dans un demi-sommeil, les bras en croix, les yeux fermés, et cela reste sûrement le meilleur souvenir de cette édition. Les riffs hallucinants de Dreamhouse, les lignes de chant de Gregory Clarke, les 10 min de Sunbather. C’était beau, c’était pur, c’était terriblement bien exécuté et tellement vrai, tellement juste, honnête, dans l’instant.
J’écoutais Deafheaven, je dormais et je me sentais pour la première fois depuis longtemps intensément vivant.