Hellview s’expose, en vrai et sur papier, à travers une sélection d’un trentaine de tirages grand format présentés en médiathèques, libraires ou lieux musicaux. Une autre façon de donner à découvrir un regard sensible au cœur de la furie du Hellfest.
Présentation par Lucie Braud, écrivain et scénariste :
Des regards.
Des regards qui fixent l’appareil photo à ceux qui l’oublient ou l’ignorent, des regards qui se laissent porter par le spectacle des scènes et ceux qu’offre la foule, des regards qui s’embrassent, s’endorment, se ferment, nus ou derrière des verres fumés. Des regards francs, amusés, interrogateurs. Des regards amoureux, désireux, ténébreux, concentrés, rêveurs. Des regards qui s’abandonnent, se cachent. Des regards assoiffés et goulus. Des regards tendres, poseurs, chevelus. Des regards enlacés, brillants, pudiques, attentionnés, ébahis, étoilés, masqués, tatoués, dessinés. Des regards maquillés et coiffés. À regarder ces yeux, on croirait les connaître, ces gens-là.
Et des mains.
De multiples chorégraphies de mains. Des mains suspendues, enlacées, aux doigts croisés. Des mains aux ongles vernis, à l’index érigé. Des mains caressantes, affolantes, baguées, parées. Des mains glissées dans le pli d’une cuisse, dans la poche d’un pantalon, sous le tissu d’un t-shirt. Des mains en mouvement, agitées, des mains bavardes, occupées. Des mains au sol ou tendues vers le ciel. Des mains au repos, rassurantes, posées sur un bras, une épaule. Des mains pour toucher, dire je suis là, reste avec moi, ne t’éloigne pas. Des mains pour dire. En douceur.
Et des pieds.
Nus ou chaussés. Couverts de toile ou de cuir. Godillots poussiéreux, entaillés, usés jusqu’à la corde. Du cuir mat ou verni. Semelles râpées, compensées. Rangers et Doc Martens, basses ou chevilles protégées, lacés serrés ou défaits, sur des jambes nues, ornées, habillées, décorées, tatouées, épilées. Des bottes en plastique ou cloutées, de motards ou de cavaliers, des bottes enchaînées, travaillées, unies, scarifiées. Des bottes country, des camarguaises, des bottes pour les balades en bord de mer et en forêt. Certaines ont fière allure, d’autres sont épuisées. Certaines sont dressées, d’autres affalées. Des souliers. Confortables, résistants, imperméables. Des tissus mous et déformés, d’autres à la courbe marquée comme la cambrure d’une flamenca. Des souliers dépareillés, d’un autre temps, celui du passé, du futur, de ce présent. Des souliers du moment. Des pieds nus, déchaussés, aérés, ou sobrement sanglés. Des pieds nus dans leur fragilité, sans peur, assurés, rassurés, confiants, se délassant.
Ces regards, ces mains, ces pieds appartiennent au même évènement. Les regards convergent vers un même point. Les mains s’animent sur la même musique. Les pieds foulent le même sol. Ils ne forment qu’un seul corps, dans une véritable communion.
Des regards pour exister, des mains pour se toucher, des pieds pour arpenter le monde, l’œil voit tout cela. Il témoigne avec pudeur de ces détails qui forgent l’humanité. Il regarde ce que la scène ne montre pas, ceux que la scène appelle à se réunir.
Alors de la foule, l’œil fait sortir les anonymes.